BEAU

Beau, par L.E.A Touret (alias le rat troué)

 

Une immédiateté certaine, vague indestructible déferlant sur notre embarcation instable. Aucun moyen de s’en sortir. On va crever, on le sait, sans pouvoir faire autre chose que contempler cette beauté là.

Le souffle se coupe brusquement puis laisse place au gout amer de l’érosion du sublime, trop simple, trop présent, trop visible.

Le beau ne vous charme pas. Il ne vous surprend pas un jour par un mystérieux sourire, ou par quelques mots prononcés au détour d’une conversation anodine. Ni ne vous laisse sur la peau la chaleur animale d’une étreinte serrée.

Peu de poésie certes, peu d’originalité. Juste la froideur inconditionnelle du réel.

Il est là, il apparaît sans masque, sans voile. C’est surement son amour œdipien pour sa mer. Infatigable, gigantesque. Si présente qu’on en oublie qu’elle est imprévisible.

Alors, lui, au lieu de se faufiler subtilement dans votre cœur, il déboule avec la violence d’un raz-de-marée, et noie tout sur son passage.

On avait méprisé sa force et on l’avait comparé aux vrais hommes un peu laids mais magnifiques, on l’avait trouvé décevant.

Vengeance sans doute : il va partir en nous laissant l’image un peu floue d’une beauté intemporelle, inscrite dans la profondeur d’un océan qu’on ne pourra jamais connaître.

 

Et puis plus rien.

Un jaillissement qui s’éteint. C’est con, mais le vide vous marque d’une puissance inexplicable.

Il y a un rien qui nous blesse en mourant comme il y a des choses qui nous manquent avant de les connaître.

 

Mon beau est comme ça. Je le regarde avec mépris ou admiration. Je prétends ne lui trouver de l’intérêt que dans mon ignorance vis à vis de lui. Il fait parti de mon seul rêve parallèle, il habite sur cet océan que je tarde à rencontrer, navigue un peu plus loin de moi chaque jour.

Il peut s’enfuir, il peut courir, sauter sur son bateau et me laisser à quai. Je verrai ses voiles disparaître peu à peu.

Je m’en fous, moi je sais que la terre est ronde.

 

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L'expérience du BEAU en cours d'esthétique (université du Bosphore - Istanbul, le 27 septembre 2010 à 10h en salle M1181, département Arts et Sciences)

 

 

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Le professeur demande : selon vous, pourquoi y a t-il souvent des groupes de gens sur le chemin qui amène à la fac? Silence tant la réponse est évidente : pour le Bosphore bien sur. 

Quoi « le Bosphore« ? 

Pour le voir. 

Oui mais pourquoi le Bosphore et pas un immeuble, un surpermarché, un arrêt de bus, pourquoi le Bosphore? 

Parce que c’est beau. 

Et qu’est-ce que ça fait qu’il soit beau?  Ca rend plus fort, plus intelligent, plus invincible de regarder quelque chose de beau? 

Non c’est agréable.

C’est agréable comme manger une glace au chocolat?

Non,  plus.

Comme regarder un bon film?

Peut-être plus encore.

Comme faire l’amour?

C’est différent.

Ah bon? C’est pas beau de faire l’amour?

C’est agréable plutôt.

Comme manger une glace au chocolat?

Non, c’est différent, on ne peut pas comparer.

On ne peut pas comparer l’utile à l’agréable, mais on devrait pouvoir comparer l’agréable à l’agréable, non?

Il y a des degrés de plaisir qui font que c’est incomparable.

Ah mais est-ce que le beau procure un plaisir comparable au plaisir que procure l’amour?

Je sais pas, faut voir.

Vous voulez voir? J’ai pas de glace au chocolat sur moi, mais par contre on peut faire l’amour. 

 

Conclusion : ça fait des siècles qu’on s’excite sur le concept de beauté, un moment faut revenir à des choses concrètes.

 

A  la semaine prochaine. 

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