L'humeur du jour? Jaune et humide.

       L’eau brumeuse du canal. Le canal si calme de Paris.  - oh Martin, cher petit saint ! Des tentes rouges qui ont l’air de flotter. Petite Venise afghanisée à Stalingrad. Je cherche un quai : quai de Loire ou quai de Seine. Je cherche un cinéma, un des deux quais m’y mènera. Je cherche autre chose désormais et c’est urgent : les toilettes.  Où sont les toilettes, monsieur ? Comment ? Je cherche les toilettes! Les TOI-LETTES s’il vous plait, les WC si vous préférez. Aaah ! les chiottes : en haut, deuxième étage, vous tournez à droite, vous traversez le hall, puis tout droit, deuxième à gauche. C’est bien… d’ici là j’ai le temps de me pisser dessus et de faire faire des analyses d’urine. Alors, comme Billy Brown tout au début de Buffalo 66, je marche d’un pas alerte, je grimpe les marches quatre à quatre, je vais jusqu’au troisième étage, au lieu de m’arrêter au deuxième, et je tourne à gauche, au lieu de tourner à droite. Là un type à lunettes, un intello du dimanche, un graphiste-éditorialiste-journaliste des heures perdues, me regarde de biais parce que je marche en X, obligée de serrer mes cuisses pour tenter de maitriser l’appel impérieux de ma vessie. Il esquisse un sourire et se replonge dans son article de Télérama sur Haïti. C’était un sourire sardonique, je l’ai tout de suite identifié. Il compatit avec le sort tragique des haïtiens – il a raison - mais se fout éperdument des efforts thaumaturgiques que je fais pour empêcher le liquide nauséabond de jaillir – il a tort. Je cours de plus belle, menton relevé pour garder le peu de dignité qu’il me reste. Une femme d’une certaine corpulence tout au bout du couloir se lève d’un bond en me voyant arriver et j’aperçois sa bouche fuchsia s’ouvrir et ses yeux fardés s’agrandir, elle crie : « Chouki ! reviens ! » Mais trop tard : un fil m’entortille me faisant découvrir le couloir sous un angle de 360°, le X de mes cuisses se convertit en W et mes jambes écartées me font tragiquement choir sur l’épaisse moquette rouge ; une langue me lèche, j’ouvre un œil, un truc assez immonde m’observe : salut Chouki… Et inévitablement, ce qui n’aurait jamais dû arriver arriva : l'affreux liquide jaune se répand dangereusement. J’accuse (!) plutôt deux fois qu’une la bestiole d’incontinence mais je rassure sa maîtresse :  ça arrive à tout le monde, n’est-ce pas, je lui donne le numéro de mon incontinologue et je m’engouffre dans la salle 3 du mk2 Quai de Loire. Le projectionniste m’aperçoit, me fait un clin d’œil de reconnaissance, il met la bobine et le film démarre.

Vincent Gallo - alias Billy Brown -  et son profil sculptural quasi christique, m’embarque dans une virée sombre et fêlée dans les rues de Buffalo. Et ça valait franchement la peine de se pisser dessus : c’est mon film préféré.